Extrait 1
« Un
toc-toc sur la vitre me sortit de ces horribles souvenirs. Nick était de retour
avec un immense sourire. Je ne sais pas ce qu’il préparait, en tout cas, ça
avait l’air de l’enchanter. Ce qui, entre nous, ne me rassurait pas. Je relevai
la tête et fronçai les sourcils. Une silhouette, assez mastoc, se tenait
derrière lui, en retrait. Nick coulissa la porte et un vent glacé me fouetta le
visage. Je frissonnai. J’avais froid tant à l’extérieur, à cause de la
température négative, qu’à l’intérieur. Être si proche d’une patinoire ou tout
autre lac gelé me révulsait. Nick tira le treuil pour que je puisse descendre
avec mon fauteuil et m’aida à insérer les roues dans les rails. Quand
j’arrivais sur la route, un homme me surplombait de toute sa hauteur. »
Extrait
2
« Quinze
minutes plus tard, mon état était stationnaire. Mon parrain entra comme un
tourbillon dans mon antre, tira les rideaux, ce qui avait pour but ultime de
m’éblouir, et souleva ma couverture. Il en était à la phase deux : bouge-toi le
cul. La première étape étant : il est l’heure, championne… La trois était plus
énergique puisqu’en général, il me prenait à bras le corps et m’emmenait
déjeuner sans demander mon avis. Il ne fallait pas le dire, mais c’était ma
préférée. Elle me rappelait mon enfance en vacances chez lui. Il me chérissait
comme un bébé. C’était mignon. Sauf qu’aujourd’hui, je n’eus pas le droit à ce
moment. De toute évidence, il en avait soupé de ma mauvaise humeur. Quand la
porte de ma chambre s’ouvrit pour la troisième et dernière fois, j’eus la plus
grosse honte de toute ma vie. Je ne rigolais pas du tout.
— La voilà, les gars. Vous la portez, on la charge
avec nous dans le bus. Je me mis sur mes coudes, parce que mes paumes de mains
me faisaient souffrir. J’étais si bouche bée que pas un son ne sortit de mes
lèvres. Kyle était aux pieds de mon lit et quatre balourds en polo des Royals
venaient de débouler, sourire aux lèvres.
— Hé ! Hé ! Ne me touchez pas ! Lâchez-moi ! Nick !
Je pouvais tenter de me débattre, j’avoue que d’un
point de vue extérieur ça devait être comique.
— Elle cogne fort, la petite, me charia un blond.
— Méfie-toi, il paraît qu’elle mord, renchérit
Kyle.
— Si tu la poses sur la glace comme ça, on dirait
un pingouin avec ses bras qui s’agitent, rit un brun.
— Faites-en un maki avec les draps, ça la calmera !
s’écria Nick, amusé.
— Ça suffit ! hurlai-je. Stop ! Je peux me
débrouiller toute seule !
— Trop tard, beauté. À cause de toi, on a dix
minutes de moins sur notre programme, ricana un autre gars.
Je ne savais plus où donner de la tête. Ils me
portèrent comme une morte en bas des escaliers où était garé mon carrosse.
Jamais je n’avais été aussi mal à l’aise. J’étais en débardeur et short sous ce
fichu tissu — ils avaient écouté les conneries de Nick et m’avaient enroulée
dedans ! — et je me gelais les fesses. »
Extrait 3
— Tu as reçu les résultats de ton IRM ? Je me
raidis. Mathias était l’un de mes rares confidents. On était tous une bande de
copains, on s’entendait tous très bien. Malgré tout, nous avions plus
d’affinité avec certains qu’avec d’autres. Mathias et moi nous connaissions
depuis toujours, nous avions un parcours sportif similaire, mais, il avait un
calme olympien là où les flammes me lynchaient le cœur.
— Pas encore. Lundi, si tout va bien.
— En attendant, détends-toi, Kyle. On a
l’impression que t’as un caribou coincé dans le derrière et qu’il t’a refilé
ses morpions. Je ne pus me retenir de m’esclaffer.
Mathias et Joël aussi avaient le pouvoir de me
faire sourire en toute occasion, y compris les plus démoralisantes.
— Qu’est-ce que tu fais avec Jane ?
— Je ne sais pas. Je n’arrive pas à…
— Arrêter ? J’acquiesçai de la tête.
— Alors, suggère-lui de faire une pause. Les nanas
entendent la même chose en général.
— Merci du conseil, Matt.
— Sérieusement, Kyle, tu devrais le faire.
— Mais avant, elle m’apaisait. C’est pas mal d’être
avec elle. Elle est calme.
— Il n’empêche que je ne t’ai jamais entendu te
marrer avec elle, comme tu le fais avec la petite.
— Ça n’a rien à voir. Erika, c’est le boulot. C’est
tout.
— Je ne dis pas le contraire. Il leva les mains en
l’air comme s’il se rendait devant mon mauvais caractère.
— Je te prouve juste que si tu te permets autant de
liberté avec d’autres filles, alors que tu es si stoïque avec Jane, c’est qu’il
y a sans doute une bonne explication, non ?
— Et toi, avec Mary ? changeai-je de sujet pour
éviter de répondre.
— Moi ? Mary a décidé de faire une pause,
avoua-t-il, bougon.
— Tiens donc ! ris-je.
— Ouais, c’est la merde. Mais elle a raison. La
saison commence mardi. On va être sur les routes tout le temps, je ne peux pas
lui demander de me suivre et je ne peux pas non plus avoir la tête dans ce
genre de relation. C’est peut-être ma dernière année chez les Royals, alors je
veux la vivre à fond. Sans contrainte.
— Purée, je comprends pourquoi t’as fait des études
de psy… me moquai-je.
Dans la pénombre de la nuit, Mathias se vengea en
me balançant une boule de neige bien mouillée. Je n’en restais pas là et nous
chahutâmes un moment avant que d’autres gars viennent en renfort. Une heure
plus tard, on était tous gelés et morts de rire sous les flocons qui ne
cessaient de tomber.
Extrait 4
Je sortis de la chambre et rejoignis Matt qui était
assis sur le canapé. Il jouait à la console devant la télévision.
— Où est passé Jo ? demandai-je en m’annonçant.
— Il est rentré se coucher.
— Déjà ? Mathias éclata de rire devant mon air
ahuri. J’étais bien placée pour savoir que les athlètes devaient se mettre tôt
au lit pour que leur corps récupère un maximum d’énergie, cela dit, je trouvais
que c’était très tôt pour un jour de congé !
—
J’ai dit se coucher, pas dormir, Erika.
Je
piquai un far. Voilà qui était plus compréhensible.
—
Jo a une copine ? m’étonnai-je.
—
Eh oui. Mais il ne l’ébruite pas trop. Ce grand benêt est du genre
superstitieux. Rassure-toi, tout le monde est au courant.
—
Pourquoi est-ce qu’il ne l’a pas emmenée à la fête d’anniversaire de Vincent la
dernière fois ?
—
Il me semble qu’elle est très timide.
—
C’est plutôt détonnant avec le caractère extraverti de Joël.
— C’est vrai. Depuis qu’il est avec elle, il s’est
beaucoup calmé. Même sur la glace, il ne cherche plus la bagarre. Et crois-moi,
on s’en porte mieux sans ses pénalités.
— Oui, j’imagine… Comment est-ce qu’elle s’appelle
?
— Kate.
— Comment ça se fait que tu connaisses tout sur
tous, tout le temps ? Il mit son jeu en pose et me regarda avec un sourire
énigmatique.
— J’ai fait des études de psy… Les gens se confient
facilement à moi.
— Ah, OK. Psychologie, alors ? C’est marrant, je te
voyais plus mécano.
Je pouffai avec lui.
— J’aime aussi les voitures, cela dit, répondit-il,
amusé. Et toi, qu’aurais-tu été si tu n’avais pas choisi d’être une athlète de
haut niveau ?
— Institutrice. Ou entraîneur, quelque chose en
rapport avec les enfants et l’enseignement. Pas forcément scolaire. J’adore
transmettre, et les petits ont soif d’apprendre.
— Tu sais que tu pourrais le faire pendant ta
rééducation ? Je suis sûr que les associations de patinage seraient ravies de
t’avoir, tu étais la plus douée d’entre tous. Ce serait un atout considérable
pour eux.
— Oui, tu as sans doute raison. Pour le moment, je
suis toujours handicapée. Alors, chaque chose en son temps, je ne suis pas
prête à affronter Dame Cauchemar. Pas encore.
— Je comprends. Tu as déjà fait d’énormes progrès…
— En partie grâce à vous.
Mathias acquiesça et retourna à son jeu. Je
m’installai sur le canapé à ses côtés.
Extrait 5
— Kyle, qui est-ce ? s’enquit la jeune femme.
— Oh, Claire, voici Erika.
— Erika ? La
Erika ?
— Eh bien, je ne sais pas si je suis celle-là en
particulier, en tout cas, je m’appelle bien comme ça, ris-je.
— Bienvenue chez nous, La Erika, continua la brunette, amusée. Je suis Claire, sa sœur.
Rentrons, le froid conserve, mais il nous gèle. Maman a préparé du chocolat
chaud avec des chamallows et, si on ne passe pas le seuil de cette porte, j’ai
bien peur que mes garçons ne boivent tout.
Elle se décala sur ma droite, puis elle attrapa le
coude de son frère et murmura :
— J’ai cru voir Matt ? demanda-t-elle.
— Ouais, moi aussi, se moqua Kyle.
Claire ne fit aucun autre commentaire et partit
devant nous. Kyle resta à mes côtés puis vint à mon secours lorsque je dus
quitter mon siège pour monter les marches du perron. Avant même que je puisse
lui dire que je pouvais me mettre debout, il me prit dans ses bras comme un
bébé. J’en fus toute retournée. Il ne m’avait jamais aidée de cette manière
jusque-là. En général, il était plutôt du genre à me laisser tomber pour que je
puisse apprendre de mes erreurs, pas à me porter comme un chevalier servant. Pour
autant, je ne m’en plaignis pas. En revanche, quand il voulut m’asseoir sur le
rocking-chair, je lui fis non de la tête et il me déposa avec délicatesse au
sol. Je continuais à m’accrocher autour de son cou quelques secondes de plus,
et je pus le regarder droit dans les yeux. J’y lus autant de fatigue, par ses
cernes, que de tristesses au fond de ses pupilles. Ils pétillaient aussi de ce
petit quelque chose que je ne reconnus pas. Je me tins à la rambarde pendant
qu’il montait mon carrosse et me réinstallai comme une reine.
— En voilà des progrès, me complimenta-t-il, fier.
— Je t’avais dit que Guz n’était pas un con, le
taquinai-je. Il rit, et c’est à ce moment-là que je compris à quel point Kyle
m’avait manqué. Il n’était pas seulement question de son visage, ni même de son
rire, c’était un tout. Sa force, son charisme, ses ridules au coin des amandes
qui lui donnait un charme fou, ses fines cicatrices qui faisaient de lui un
être unique, son parfum, sa voix... Avoir été si loin de lui ne m’avait pas aidée
à prendre du recul sur nous, au contraire. La distance m’avait tenue en haleine
jusqu’à nos retrouvailles. Pour cet instant T. Il se rapprocha de moi, me
caressa la joue, toujours autant amusé par ma remarque, et, de toutes mes
forces, j’eus envie qu’il m’embrasse. Rien qu’une fois. Que je goute encore à
ses lèvres, tout juste gercées par le froid.
— Tu m’as manqué, chuchota-t-il.
Puis la porte de la maison s’ouvrit avant même que
je ne puisse prononcer un mot.
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Petits mots
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